La mission Développement durable du ministère de la Culture propose du 4 octobre au 30 novembre 2017 une exposition intitulée “Quand les artistes passent à table / leurs regards sur l’alimentation”, proposant ainsi quelques clefs essentielles de compréhension mises en scène par des artistes. Conçue pour être itinérante en France sur la période 2017-2020, cette exposition est inaugurée dans les espaces du ministère, Immeuble des Bons-Enfants, 182 rue Saint-Honoré, à Paris.
Cette exposition1 est l’occasion de s’interroger sur le poids de l’alimentation dans les champs du paysage, des territoires, de l’environnement, du patrimoine et de la culture
En effet, l’alimentation est le plus souvent d’abord perçue comme un sujet relevant du champ des sciences exactes en général, de la santé au sens médical du terme en particulier : il s’agit alors d’évoquer l’ingestion d’apports nutritionnels, la qualité biochimique de produits consommés, la bonne hygiène de vie. Cette approche est bien évidemment très réductrice : l’alimentation n’est à l’évidence pas une simple question biologique ; elle est bien davantage une question de paysage et d’aménagement des territoires d’une part, de développement durable d’autre part, enfin de patrimoine et de cultures individuelles et collectives.
Alimentation, paysages et territoires
Évoquer l’alimentation, c’est parler d’agriculture, car il faut bien produire ce qui nourrit les êtres vivants et singulièrement les hommes : c’est donc aussi évoquer l’aménagement du territoire et l’utilisation du sol et au-delà le paysage. En effet, de la fenêtre du train ou de la voiture, les paysages que nous pouvons regarder lors de nos voyages sont bien souvent le résultat du travail des agriculteurs. Même si la surface agricole est en baisse continue à cause de l’augmentation des surfaces boisées et de l’urbanisation, 50 000 à 60 000 hectares de terres agricoles ayant ainsi été en 2016 bétonnés ou bitumisés, en somme artificialisés, les agriculteurs gardent un rôle majeur sur plus de la moitié du territoire national, avec 28 millions d’hectares de sols agricoles exploités.
Vu de la fenêtre, les paysages paraissent parfois monotones, même à grande vitesse. Car la France, comme bien d’autres pays au climat clément, a augmenté sa productivité pendant soixante ans, avec des innovations comme la sélection, la mécanisation et l’utilisation de produits phytosanitaires ; la France offre ainsi aujourd’hui au regard des kilomètres de blé, de colza ou encore de maïs. Le résultat de cette agriculture intensive est aujourd’hui interrogé, non seulement du point de vue de l’écologie, notamment pour la préservation des sols, mais aussi comme modèle économique, les subventions européennes semblant parfois lourdement peser dans l’équilibre des revenus des agriculteurs.
Alimentation, environnement et monde durable
Au-delà de la question de la production agricole, l’alimentation est aussi un enjeu majeur dans les politiques environnementales en faveur de la construction d’un monde plus durable. De fait, les questions qu’elle soulève sont lourdes de conséquences pour la planète : quel est l’impact de notre alimentation sur l’environnement ? De notre assiette à la terre, que se passe-t-il aujourd’hui ? Si nous consommons moins d’aliments d’origine animale, quelles en sont les conséquences ? L’agriculture est-elle l’une des causes ou un outil potentiel pour lutter contre le réchauffement climatique ? Il n’est pas simple d’appréhender toutes les logiques, souvent obscures, qui contribuent à la nourriture des hommes et qui rendront la planète vivable pour tous en 2050.
Cultiver autrement est aujourd’hui un sujet quotidien pour une partie de plus en plus grande du monde agricole qui cherche à revenir à des échelles plus humaines et plus en rapport avec la nature. La permaculture consiste ainsi à s’intéresser aux pratiques séculaires où culture « permanente » s’entend au sens de « durable ». Dans cette perspective, l’homme n’est pas là pour déranger des écosystèmes harmonieux qui lui préexisteraient : il doit au contraire mieux les comprendre pour mieux les épouser. Pour cela, il s’agit d’éviter tout ajout artificiel, les intrants, et de rechercher une nécessaire biodiversité, notamment en variant les semences qui aujourd’hui sont réglementairement limitées.
Dans le même temps, l’agriculture en ville est devenue un objet de débat et d’innovations des métropoles, à commencer par Paris où 100 hectares de toits et de murs doivent être végétalisés d’ici 20202
. La plus grande ferme verticale du monde est à quarante minutes de Manhattan : on y cultive des salades sur six étages, certes sans terre et sans soleil, mais aussi sans aucun produit chimique ajouté et en consommant un minimum d’énergie.
Parler d’alimentation, c’est ainsi convoquer toute la problématique de l’environnement et de sa capacité à être durablement exploité. C’est donc aussi parler du réchauffement climatique, qui change la donne à la fois en termes de surfaces mises en culture et d’essences de plantes cultivées ou d’espèces animales élevées. C’est enfin parler de croissance démographique, cette dernière exigeant d’accroître les volumes produits.
En un mot, parler d’alimentation, c’est parler de l’avenir de l’homme et de sa planète.
Alimentation, patrimoine et culture
Si l’alimentation nous place dans la perspective du futur lointain, celui de la pérennité de notre espèce, elle nous renvoie également à notre passé : l’alimentation est un patrimoine. En 2010, l’UNESCO a ainsi classé le repas gastronomique des Français au Patrimoine mondial immatériel de l’Humanité3
, montrant que l’alimentation est à la fois le produit d’une culture et l’origine de cultures en constantes évolutions, des plus populaires aux plus savantes. Au-delà de cette décision institutionnelle, l’alimentation est le premier outil de connaissance de l’autre : elle raconte de manière immédiate et sensible une civilisation, mais aussi, par le contenu des assiettes, ses territoires.
Aborder les régimes alimentaires en termes de substances ingérées, c’est déjà, immédiatement, évoquer des choix comportementaux : manger de la viande animale ou non, choisir un aliment plutôt qu’un autre, s’imposer des interdits alimentaires pour être en adéquation avec une conception du monde ou une religion, relèvent par exemple de décisions individuelles ou collectives soumises à des paramètres culturels.
Comme pour tous les grands sujets de société, le monde de la culture en général et les artistes en particulier sont aux avant-postes, dégagent une vision, une symbolique, une interprétation singulière du monde que le spectateur interprète à son tour. Rien d’étonnant donc à ce que les créateurs, singulièrement dans le champ des arts visuels, se soient emparés de la question de l’alimentation. Ils nous donnent comme toujours leur vision, fut-elle provocante et amènent les citoyens à la réflexion et à l’action pour que les générations futures continuent à faire vivre nos cultures alimentaires dans les meilleures conditions. Car c’est bien du temps long dont il est ici question.
Parce que le monde durable de demain sera culturel, l’alimentation doit être reconnue comme un enjeu essentiel pour le destin des civilisations et la manière dont elles marquent leurs paysages et leurs territoires de leur empreinte. C’est pourquoi elle est l’un des piliers de l’engagement du ministère de la Culture en faveur du développement durable et de la construction d’une société heureuse.
- L’exposition Quand les artistes passent à table / leurs regards sur l’alimentation sur le site du ministère de la Culture. www.culture.gouv.fr ↩
- Voir le site des Parisculteurs, programme en faveur de l’agriculture urbaine de la Mairie de Paris ↩
- Voir les pages du site de l’UNESCO consacrées au repas gastronomique des Français, inscrit en 2010 sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité ↩